mercredi 8 juin 2011
L'ECRITURE OU LA VIE
"Je me suis arrêté, j'ai regardé les grands arbres, au-delà des fils barbelés. Il y avait du soleil sur la forêt, du vent dans les arbres. Un air de musique a jailli soudain, de l'autre côté de la place d'appel. Un air d'accordéon, quelque part là-bas. Ce n'était pas une musique de guinguette, de valse musette. C'était tout autre chose, un air d'accordéon joué par un russe, assurément. Seul un russe pouvait tirer de cet instrument une telle musique, fragile et violente, cette sorte de valse tempête : frémissement des bouleaux dans le vent, des blés dans la steppe sans fin."
in L'écriture ou la vie, Gallimard, 1994.
J'ai eu la chance de serrer la main de Georges Semprun une fois, c'était en décembre 1993, quel choc ! A table, "coincé" que je fus à midi entre Umberto Eco et le général Morillon, se trouvait là aussi Paul Ricoeur, l'immense Ricoeur. J'avais 22 ans, j 'étais étudiant, et ce jour-là, l'académie universelle des cultures organisait dans le grand amphi en Sorbonne un colloque sur "l'intervention". Le thème me passionnait, bien sûr, alors j'étais venu m'emplir de toutes les richesses de ces combattants de l'impossible. Et puis, il me faut l'avouer, je courtisais un peu à l'époque l'une des filles de la secrétaire générale de cette académie universelle des cultures, la raison véritable de mon accès à table avec Semprun. Je me souviens m'être dit alors en moi-même, qu'à l'âge vierge que j'avais, 22 ans, Semprun venait d'être libéré de Buchenwald par les troupes de Patton. Après des années de résistance puis de captivité. La mort l'avait traversé déjà plusieurs fois.
Georges Semprun vient de mourir. C'est impossible.